N°2 / Décolonialité et Lumières / Decoloniality and Enlightenment

De Frantz Fanon à Houria Bouteldja : de la recherche de l’universalisme à l’assignation identitaire

Pascale Pellerin

Résumé

Contrairement à Frantz Fanon, qui de ses premiers textes jusqu’à son essai dernier essai, Les Damnés de la terre, publié en 1961, accorde toujours une place importante à l’universalisme, Houria Bouteldja, dans Les Blancs, les Juifs et nous (2016), manifeste un refus total des Lumières françaises et condamne de façon virulente tout lien entre Orient et Occident.

L’article de Pascale Pellerin interroge cette évolution du discours sur l’universalisme dont les enjeux politiques sont essentiels.

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Pascale PELLERIN

 

De Frantz Fanon à Houria Bouteldja :

de la recherche de l’universalisme à l’assignation identitaire

 

 

 

            De l’œuvre de Frantz Fanon dont le dernier essai, Les Damnés de la terre, a été publié en 1961, à la parution de l’ouvrage d’Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous, en 2016, nous aimerions saisir les évolutions du discours autour de la question de l’universalisme, question qui traverse l’œuvre du premier et aboutit, soixante ans plus tard, à une exaltation de l’essentialisme chez Bouteldja, laquelle manifeste un refus total des Lumières françaises et condamne de façon virulente tout lien entre Orient et Occident.

Il faut, au préalable, rappeler le contexte d’écriture de ces deux essais, ce qui les rapproche, les différencie et les raisons de ces dérives identitaires. Le dernier ouvrage de Frantz Fanon, décédé à l’âge de 36 ans, a été rédigé quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie. Il s’inscrit dans l’histoire de la lutte du peuple algérien pour sa libération et reste fortement influencé par le marxisme, mais ne rejette pas de façon catégorique l’universalisme des Lumières. Celui de Bouteldja obéit à une autre logique : démontrer que la France exerce toujours une discrimination à l’égard des descendants des colonisés. Si certains arguments sont parfaitement recevables, et s’appuient sur des faits réels, les conclusions qu’elle en tire sont inquiétantes et doivent être interrogées. Comme le souligne Antoine Lilti, « les enjeux les plus intéressants des débats postcoloniaux portent moins sur l’universalisme en tant que tel que sur les conditions qui permettent de s’en réclamer ou de s’en approcher »[1]. Il faut aussi rappeler, avec Daniel Carey et Lynn Festa, que les études postcoloniales ne sont pas plus homogènes que les Lumières[2]. On doit toutefois se demander pourquoi il existe aussi peu d’études en français sur le postcolonialisme et les Lumières, et encore moins sur les Lumières et l’histoire coloniale et postcoloniale française, à l’inverse de ce qui se publie outre-Atlantique concernant surtout le colonialisme de l’empire britannique[3].

On peut situer la naissance des études postcoloniales au moment de la parution de l’ouvrage d’Edward Saïd, L’Orientalisme, publié aux États-Unis en 1978 et traduit en France deux ans plus tard. Saïd mettait en garde, dans son ouvrage, sur les risques de séparatisme qui guettaient les études subalternes : « Si l’histoire subalterne est uniquement interprétée comme une entreprise séparatiste, elle court le risque de n’être qu’un miroir opposé à la littérature dont elle conteste le tyrannie »[4]. Le traumatisme profond qu’a été la guerre d’Algérie, contrée rattachée à la république et se disant fille des Lumières, rend encore difficile une réflexion qui doit prendre en compte de nombreux paramètres et faire face à l’histoire et à la mémoire coloniales. Pascal Blanchard et Nicolas Bancel remarquaient très justement, dès 2005, que     « la question postcoloniale fait l’objet, en France, d’un malentendu : elle est critiquée par quelques historiens qui ne veulent pas admettre que la France a été, elle aussi, colonisée par son empire »[5].

            Comment comprendre l’émergence des courants décoloniaux français et la remise en cause des Lumières ? Il faut pour cela penser à la fois la concomitance de l’expansion coloniale européenne et des Lumières, et questionner les héritiers de ces dernières, lesquels ont certes critiqué l’esclavage mais approuvé la colonisation de l’Algérie au nom des principes anti-esclavagistes. Ne pas se confronter à ces questions donne des arguments très sérieux aux mouvements décoloniaux et affaiblissent les critiques nécessaires à leur égard. Ceux qui se sont considérés comme les héritiers des Lumières, les fondateurs de la République française et de l’antiesclavagisme, ont été partisans de la conquête de l’Algérie. Pour les abolitionnistes comme Condorcet, qui n’a certes pas connu l’invasion de l’Algérie par la France, l’Occident représente un modèle de civilisation supérieure et ce sont les peuples civilisés qui ont pour tâche de libérer les autres pays de leurs oppresseurs, de les éduquer. Il existe « des peuples nombreux, qui semblent n’attendre, pour se civiliser, que d’en recevoir de nous les moyens, et de trouver des frères dans les Européens, pour devenir leurs amis et leurs disciples »[6]. L’Europe, pensée comme modèle, se doit donc d’apporter ses valeurs aux peuples considérés comme inférieurs. Membre de la Société des amis des Noirs, Condorcet, dans ses Réflexions sur l’esclavage des nègres, publiées en 1781, préconise l’arrêt immédiat de la traite négrière, mais pas de l’esclavage, proposant de garder les esclaves dans leurs fers, mais d’éduquer leurs enfants et de les libérer à leur majorité. Il faudrait environ trois générations pour abolir de fait l’esclavage. Il faut donc du temps et de la patience pour les colonisés. Dipesh Chakrabarty analyse très justement cette approche historiciste par l’image de la salle d’attente imaginaire de l’histoire (du « pas encore »[7]), qui va être peu à peu dévastée par les mouvements indépendantistes et anticolonialistes, à partir de la révolte des esclaves de Saint-Domingue, laquelle a rendu inéluctable l’abolition de l’esclavage. Cette contestation trouvera un nouveau souffle au début de la première guerre mondiale grâce à « ces hommes trop impatients pour se contenter du rythme de l’Histoire, trop exigeants pour admettre qu’il n’y ait rien d’autre à faire dans ce monde, que d’y préparer, dans la résignation à leur propre échec, le triomphe de quelque lointaine humanité »[8]. Les Lumières n’ont cependant pas remis en cause l’unité de l’espèce humaine et ses possibilités de progrès même si, pour Buffon, qui porte un jugement très sévère sur les Arabes[9], l’Européen représente la perfection de l’espèce humaine. Il est indéniable que son anthropologie a contribué à la formation de l’idéologie coloniale. Cette philosophie de l’unité de l’espèce humaine va être remise en cause par la multiplication des sciences sociales au XIXe siècle, qui, avec l’influence du darwinisme social, va expliquer l’évolution humaine par la lutte des races. Ces notions se traduisent aujourd’hui par les affirmations de changement de peuple, de brassage trop important des peuples occidentaux. Mais si les Lumières n’ont pas été anticolonialistes, au sens où elles n’ont pas réclamé l’indépendance des colonies, elles n’ont pas été ouvertement racistes. Elles ont cependant joué un rôle dans la construction au XIXe et au XXe siècle d’une république coloniale. Celle-ci n’a pris fin qu’en 1962, par une guerre très violente, et ses conséquences sur la société française, en termes de concurrence mémorielle, sont d’autant plus visibles qu’elles sont réactivées par la crise du système néolibéral. À un moment où la situation politique mondiale est préoccupante, la dégradation de la démocratie en France nécessite une réponse urgente face à la montée des communautarismes et face au racisme, devenu l’épicentre du discours de la classe politique. La violence coloniale et la ghettoïsation des quartiers concentrant les descendants d’immigrés sont allées de pair avec le vote de lois de plus en plus répressives contre ceux qui arrivaient en France, venant majoritairement des pays africains. Après les attentats du 7 janvier 2015, qui ont décimé la rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, la gauche s’est divisée entre les chantres d’une vision très étroite de la laïcité et ceux qui excusaient les islamistes parce qu’ils étaient des opprimés. Ces deux positions, condamnables et dangereuses, s’inscrivent dans une histoire coloniale occultée en grande partie par l’État français[10] qui a favorisé le développement de mouvements identitaires qu’on ne saurait réduire aux théories décoloniales, puisque la revendication des identités touche également une fraction du peuple se définissant comme blanc en France. Il faut pourtant constater que les pensées décoloniales ont pris la place des mouvements antiracistes dans la sphère médiatique. Frantz Fanon, psychiatre d’origine martiniquaise, ayant exercé en Algérie et conscient de l’oppression coloniale, développe une pensée complexe et originale qui, tout en rejetant un retour à l’essentialisme et à la négritude, appelle à la violence contre le colonisateur occidental et rejette en partie les liens qui peuvent se tisser entre les nationalistes algériens et les Lumières chez les partisans de Messali Hadj, le premier nationaliste algérien au sens moderne du terme. Cela s’explique autant par sa méconnaissance du nationalisme algérien que par un rejet de l’Occident colonial. Mais Fanon est un intellectuel brillant, disparu à 36 ans. Houria Bouteldja est devenue une personnalité médiatique comme porte-parole du parti des Indigènes de la république, créé en 2005, qui ne cache ni son antisémitisme ni son homophobie. Houria Bouteldja renvoie l’universalisme à la race blanche. Si la colonisation a détruit en profondeur l’identité algérienne, la dérive identitaire de certains courants issus de l’immigration, nourrie par une discrimination quotidienne, empêche aujourd’hui la construction d’une France riche des peuples multiples qui la composent. Un dépassement des valeurs des Lumières qui pourrait offrir une synthèse entre valeurs universelles et constructions culturelles permettrait-il de répondre aux défis démocratiques et de sortir de l’opposition binaire universalisme versus communautarisme, piège qui s’est refermé sur les intellectuels français depuis plusieurs années, même, comme le remarque Yves Citton, « les polémiques sur la non-mixité, l’islamo-gauchisme sont moins des problèmes politiques que des emballements médiatiques »[11]. Il faut également se demander si les Lumières qu’on rattache trop vite au progrès et à la raison, n’ont pas porté en elles, notamment chez Rousseau et Voltaire, un questionnement dialectique, intelligent, sur les dérives propres au progrès lui-même.

 

            Affronter la question postcoloniale ou décoloniale en France nous oblige à revenir à la conquête et à la colonisation de l’Algérie, rattachée directement à la république française en 1848, année de l’abolition de l’esclavage. Apparaît dès lors la première chaîne de l’aveuglement républicain : ceux qui prônent l’idéologie des droits de l’homme, laissent s’accomplir des massacres de masse sur le territoire algérien et détruire les infrastructures en place. Le colonel Pélissier a pratiqué la technique des enfumades des grottes, où se réfugiaient hommes, femmes et enfants, qui ont fait périr plusieurs tribus. Malgré les protestations politiques et intellectuelles, Pélissier fut nommé gouverneur-général de l’Algérie en 1851. La colonisation de l’Algérie a été d’une extrême violence et il serait caricatural d’accuser les penseurs des Lumières d’avoir fourni des arguments idéologiques en faveur de cette barbarie. Il n’en reste pas moins que les droits de l’homme ne se sont pas appliqués en Algérie, qu’ils sont restés à l’état de pure spéculation philosophique. Les courants décoloniaux nous ramènent constamment à cette réalité en nous lançant un défi, comme le rappelle Antoine Lilti[12]. Les Lumières constituent un enjeu politique et idéologique en perpétuelle construction et la critique postcoloniale en souligne les tensions et les contradictions. Elle nous oblige surtout à penser la mise en pratique des droits de l’homme, la question de l’engagement concret et de la lutte révolutionnaire pour réclamer l’égalité des peuples et des civilisations. Diderot s’est heurté à cette question à la fin de son existence, surtout après son retour de Russie, où il a constaté la réalité du servage, la misère du peuple russe, et l’hypocrisie de Catherine II[13]. À une autre échelle et dans une période très différente, Frantz Fanon, pétri de culture française, a découvert la violence du système colonial, l’exploitation des indigènes, le racisme profond qui imprégnait la majorité des colons. Soixante ans plus tard, les mouvements indigénistes nous rappellent qu’ils se sentent exclus de la république française et ne comprennent pas la généalogie d’une république qui a tenu un discours colonial en se référant aux Lumières pour justifier l’expansion de son empire. Mais en déduire qu’ils rejettent en même temps les Lumières, ce serait réaffirmer une antienne, remise en cause depuis un grand nombre d’années, d’une Révolution et d’une République fille des Lumières[14]. Ces questions complexes exigent un décloisonnement disciplinaire, c’est-à-dire que l’on renoue avec l’esprit encyclopédique. Il faut s’extirper du récit universaliste abstrait sans tomber dans le communautarisme. Frantz Fanon nous offre à cet égard des pistes intéressantes.

 

            Fanon est né le 20 juillet 1925, à Fort de France en Martinique, dans une famille assez aisée de la classe moyenne, son père étant fonctionnaire et sa mère commerçante. Cinquième d’une famille de huit enfants, dès l’adolescence, il découvre et lit passionnément la littérature du XVIIe et XVIIIe siècles : Rousseau, Diderot, Montesquieu et Voltaire, dont les noms se trouvaient inscrits dans le couloir d’entrée de la Bibliothèque Schoelcher. Son frère aîné, Joby Fanon, raconte une anecdote qui témoigne de l’intérêt que portait Fanon aux écrivains des Lumières. Préparant son baccalauréat, Fanon, désobéissant aux conseils de son aîné, « tint à faire Rousseau et le Contrat Social. Il était très attaché à la notion de Volonté Générale qui ne peut se tromper et qui tend toujours vers l’utilité publique »[15]. À 18 ans, il  part combattre en France contre le nazisme et est gravement blessé. Revenu auprès de sa famille à la fin de la guerre, il repart en France en 1945 pour commencer des études de médecine et s’installe à Lyon. Il se lance dans la rédaction de pièces de théâtres. À la même époque, il découvre les œuvres de Sartre, Lacan, Freud, Merleau-Ponty et s’oriente vers la psychiatrie. Après avoir exercé dans plusieurs hôpitaux en France et tenté d’ouvrir un cabinet de généraliste en Martinique, dont il repart déçu, il obtient un poste à la fin de l’année 1953 à Blida, en Algérie, à l’hôpital de Joinville. En 1952, il publie son premier essai, Peau noire, masques blancs aux éditions du Seuil, avec une préface de Francis Jeanson, directeur éditorial des Temps modernes. L’ouvrage ne suscite guère l’intérêt des critiques. Il n’est pas un manifeste indépendantiste et les références à la philosophie et à la psychanalyse[16] en font un objet intellectuel trop transdisciplinaire. Fanon était déjà un intellectuel engagé par ses liens avec la revue Présence africaine et sa lecture des Temps Modernes[17]. Comme le remarque Alice Cherki, Fanon obéit à deux exigences : « Transmettre une expérience subjective d’homme noir plongé dans un monde blanc dominant et rendre compte de cette condition dans l’espoir de la dépasser, aussi bien pour l’homme noir que pour l’homme blanc »[18]. Fanon aborde la question du « racisme de couleur » à partir de sa propre condition, donc « à partir du dedans ». Or « la couleur et la race ne sont pas des essences, mais le produit d’une existence et d’une situation »[19]. La confrontation à la négritude dans le regard et la parole du Blanc conduit à une étape transitoire, celle du besoin de se « perdre dans la négritude absolument »[20] pour mieux pouvoir s’en détacher. Fanon refuse d’être enfermé dans la négritude, mais cette expérience explique son besoin de se confronter à « la praxis anticoloniale »[21], à une philosophie de l’agir libérateur et humaniste qui fera de lui l’un des plus grands militants anticolonialistes. Dès la deuxième page de Peau noire, masques blancs, il donne les grandes lignes de son essai : « Nous ne tendons à rien de moins qu’à libérer l’homme de couleur de lui-même. […] Nous estimons qu’un individu doit tendre à assumer l’universalisme inhérent à la condition humaine »[22]. Et cet universalisme n’est nullement étranger à l’Europe et surtout à la France : « Le Noir qui entre en France change parce que pour lui la métropole représente le tabernacle ; il change parce que c’est de là que lui sont venus Montesquieu, Rousseau et Voltaire »[23], mais la France, c’est aussi les fonctionnaires du pouvoir colonial. Sans l’écrire explicitement, Fanon distingue deux France, l’une idéale, celle des Lumières et de la Révolution, et la France réelle, celle de la domination coloniale et de l’injustice, « car si c’est au nom de l’intelligence et de la philosophie que l’on proclame l’égalité des hommes, c’est en leur nom aussi qu’on décide de leur extermination »[24]. On doit objecter ici à Fanon que si la colonisation s’est réclamée parfois des droits de l’homme pour justifier l’exploitation des peuples africains, l’État colonisateur a toujours eu la plus grande défiance envers les enseignants dans les colonies. Il ne s’agissait pas pour les conquérants de mettre la culture des Lumières et une certaine critique du colonialisme entre les mains des indigènes. L’éducation constituait une menace pour leur hégémonie et Fanon en est très conscient : « le Noir qui cite Montesquieu doit être surveillé. […] Et puis il y a aussi cet argument-massue du planteur en Afrique : notre ennemi, c’est l’instituteur »[25]. Il y a dans Peau noire, masques blancs un attachement à la culture française qui est indéniable et une critique parfois sévère de la négritude : « Qu’est-ce que cette histoire de peuple noir, de nationalité nègre ? Je suis français. Je suis intéressé à la culture française, à la civilisation française, au peuple français. […] En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle. […] Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques. […] Je n’ai ni le droit ni le devoir d’exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués »[26]. Fanon refuse d’endosser le statut de ses ancêtres : « Je ne suis pas esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères »[27].

            Fanon refuse d’être prisonnier de son histoire. Il appelle à la révolution totale des êtres humains, blancs, noirs ou jaunes. Bien que son discours évolue au cours de la guerre d’Algérie, jamais il ne rompra avec cet universalisme de combat au sein même de la violence anticoloniale. S’il avait découvert la vénalité des médecins en Martinique, la corruption en Algérie lui semble beaucoup plus grave. Il découvre que la médecine est partie intégrante du système colonial et qu’elle garde les stigmates d’une science de la race pour expliquer la mentalité arabe[28]. Les premiers contacts de Fanon avec le FLN se firent par le biais d’une association humanitaire, Amitiés algériennes. Il est contacté, au cours de l’année 1955, par la revue Consciences maghrébines, puis par le FLN. Esprit publie, en février 1955, l’un de ses articles, « Africains Antillais », sorte d’autobiographie, qui souligne une fois de plus les impasses identitaires. La lutte pour l’indépendance de l’Algérie constitue un tournant fondamental dans sa courte existence. Nous rejoignons Mathieu Renault lorsqu’il souligne que « ce n’est qu’avec l’initiation des luttes de libération nationale que Fanon parviendra à développer une phénoménologie de la libération et de la conscience décolonisée »[29]. Si, dans Peau noire, masques blancs, Fanon a tenté de sauvegarder l’idée de l’homme élaborée par les Lumières, lors de sa rencontre avec la lutte du peuple algérien, il prend conscience que l’impérialisme européen a réduit cette idée à la figure du colon blanc[30]. Mais cette prise de conscience ne s’accompagne absolument pas d’un retour vers une identité nègre ou d’un rejet des valeurs universalistes. Ces valeurs vont se concrétiser et se solidifier à travers l’engagement, la lutte et la violence pour retrouver l’état de droit détruit par le colonialisme. Fanon vise la décolonisation de l’être[31], même s’il faut souligner que cette recherche de désaliénation de l’être épouse la cause de l’indépendance algérienne. L’universalisme s’inscrit chez lui dans la lutte pour la liberté.

            Engagé aux côtés du peuple algérien, Frantz Fanon ne peut rester à l’hôpital de Blida, qui sert de refuge aux combattants du FLN dont l’un des soucis majeurs était l’approvisionnement en matériel et médicaments que les pharmacies n’avaient plus le droit de vendre aux Algériens, comme les antibiotiques et désinfectants, sans avoir leur adresse et une ordonnance. Après les massacres de Philippeville, aujourd’hui Skikda, située dans le Constantinois, en août 1955, la violence atteint son paroxysme. Le FLN s’organise et décide d’une plate-forme politique lors du congrès de la Soummam, en août 1956, dont le cerveau était Abane Ramdane, figure influencée par le marxisme, qui réclamait la pleine et entière indépendance de l’Algérie. L’ALN est réorganisée avec la nomination de chefs militaires pour chaque région. Abane Ramdane devient un ami proche de Fanon dont il partageait les idées marxistes et athées. Fanon est contraint de quitter l’Algérie fin 1956 et s’installe à Tunis avec son épouse et son fils. Entretemps, il se rend à Paris en septembre 1956 pour participer au premier Congrès international des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne. Fanon y est présent comme membre de la délégation martiniquaise aux côtés d’Édouard Glissant et d’Aimé Césaire, qu’il connaît depuis son adolescence. L’un des intervenants revendique l’héritage des Lumières[32]. Fanon garde le silence sur l’Algérie pour ne pas se mettre en danger. À Alger, le FLN commet des attentats nombreux contre les civils européens pour obtenir une rupture définitive entre les communautés arabo-berbères et européennes. La casbah devient le centre du mouvement nationaliste, bien éloigné de la culture des Lumières. Fanon semble s’éloigner des valeurs occidentales mais ne rompt pas avec l’universalisme, comme le prouve la conclusion de son intervention : « L’universalité réside dans cette décision de prise en charge du relativisme réciproque de cultures différentes une fois exclu irréversiblement le statut colonial »[33]. Alice Cherki souligne que « pour Fanon, l’être humain accède à l’universel à partir de la différence s’il peut être sujet en prise sur l’histoire »[34].

            Arrivé à Tunis, capitale du FLN en exil, en janvier 1957, il tourne définitivement le dos à la France en refusant désormais de publier dans la presse médicale française. La défaite de la bataille menée par le FLN à Alger affaiblit et isole Abane Ramdane et renforce l’armée des frontières. Fanon, à Tunis, n’a guère de contacts avec les membres du FLN, mais entretient une bonne collaboration avec ses collègues juifs et communistes[35]. Malgré ses affirmations, c’est dans le milieu cosmopolite que Fanon a noué le plus d’amitiés et qu’il pouvait se reposer, au milieu de ses amis juifs, Français, Européens engagés au sein du FLN[36]. Il ignore complètement la part prise par la religion musulmane dans les revendications nationalistes. L’assassinat d’Abane Ramdane au Maroc, en décembre 1957, par les courants réactionnaires du FLN, est un véritable traumatisme pour lui, ce qui le rend pessimiste quant à la réalisation d’une Algérie indépendante et libre, qui appliquerait le pluralisme politique et linguistique tel que le souhaitait Ramdane. Accusé de sionisme par le directeur de l’hôpital, il s’investit dans une structure hospitalière plus grande et mieux dotée. En 1958, il se rend très souvent en Afrique, surtout au Ghana comme représentant officiel du FLN, pour soutenir les mouvements indépendantistes. Il participe au deuxième congrès international des écrivains et artistes noirs à Rome, du 26 mars au 1er avril 1959, durant lequel il reproche au courant de la négritude de racialiser la pensée[37]. C’est durant cette période qu’il rédige son deuxième ouvrage, L’An V de la révolution algérienne, publié chez Maspero en 1959 et republiée en 1968 avec sa préface rédigée après le retour du général De Gaulle au pouvoir. Fanon réitère sa volonté de détruire le colonialisme : « La mort du colonialisme est à la fois mort du colonisé et mort du colonisateur »[38].  Il affirme que la « minorité européenne est loin d’être le bloc monolithique qu’on imagine »[39]. Il rend hommage aux Français qui dénoncent cette guerre et cite Claude Bourdet[40], Jean-Marie Domenach[41], Pierre Cot[42], anciens résistants qui ont compris l’iniquité et l’horreur de ce conflit[43]. En Algérie, la solidarité des Européens avec les Algériens n’est pas mise en avant par le FLN, mais Fanon n’opère pas de différence entre le militant européen et l’Algérien : « Le torturé européen s’est comporté comme un authentique militant dans le combat national pour l’indépendance »[44]. Fanon idéalise le FLN, refuse de prendre en compte les crimes commis contre les militants indépendantistes qui n’en étaient pas membres, en particulier ceux du Parti communiste algérien et du MNA, le parti de Messali Hadj. Lorsqu’il proclame que « pour le FLN, dans le cadre de la Cité en construction, il n’y a que des Algériens [et qu’] au départ donc, tout individu habitant l’Algérie est un Algérien »[45], il exprime un vœu, qui était aussi celui de Ramdane, mais qui ne correspond pas à la réalité qui commence à s’imposer à partir de 1958. Il n’y aucune trace d’antisémitisme chez Fanon, à l’inverse des affirmations de Bouteldja, et l’analyse qu’il propose du statut des juifs en Algérie, même s’il a tendance à l’idéaliser, est intéressante. Il est pourtant conscient de l’antisémitisme qui existe au Maghreb et qu’il a rencontré en Tunisie, mais il tend à l’effacer dès lors qu’il s’agit de la construction de la nation algérienne. Il exagère également la participation des colons Européens à la lutte anticoloniale. Fanon « partageait avec Ramdane l’idée que la rupture de la situation coloniale par la révolution était porteuse de nouveaux rapports humains qui permettraient aux Européens et aux Juifs de participer à la nation algérienne »[46]. À l’égard du statut des femmes, le discours de Fanon doit être analysé sur plusieurs plans, celui de la lutte révolutionnaire, qui intègre le voile comme «  instrument de libération tout à tour enlevé pour pénétrer la ville européenne et revêtu lorsque le colonisateur commence à se méfier des poseuses de bombes[47]» et une réflexion plus large sur la condition féminine de son temps qui reproduit la division traditionnelle des charges du foyer qui impose aux mères l’éducation des enfants. Il ne cache pas son homophobie et conçoit « l’homosexualité comme une spécificité européenne »[48]. S’il s’adresse aux colons et aux Européens dans L’An V de la révolution algérienne, son dernier ouvrage, les Damnés de la terre, qui paraît chez Maspero quelques jours avant son décès, est destiné aux colonisés qui luttent contre l’occupant. Fanon, atteint d’une leucémie, est hospitalisé aux États-Unis où il meurt le 6 décembre 1961. La préface de Sartre a détourné le contenu de l’ouvrage qui ne fait nullement l’apologie de la violence. Celle-ci ne constitue nullement pour Fanon un but en soi. Elle est un instrument de libération et d’émancipation de toute la société coloniale et de reconstruction de la vie civile anéantie par la violence de l’occupant : « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence »[49]. Pour Fanon, la violence est « l’intuition qu’ont les masses colonisées que leur libération doit se faire, et ne peut se faire que par la force »[50], mais cette violence lui a été indiquée par le colon lui-même. Rédigé en grande partie dans l’urgence, l’essai de Fanon reste fort discutable, en particulier s’agissant de son apologie de la paysannerie ou de ses critiques violentes contre les partisans de Messali Hadj. Ces critiques s’expliquent à la fois par la défaite de la bataille d’Alger, par l’assassinat d’Abane Ramdane, et par le fait que Fanon connaissait mal l’histoire du nationalisme algérien. Le socialiste libertaire Daniel Guérin, qu’il rencontre à Paris en janvier 1957, remarque sa haine fanatique contre Messali Hadj, pourtant fondateur du nationalisme algérien[51]. Si, comme le remarque Mohammed Harbi, son ignorance du phénomène religieux ne lui permettait pas de « mesurer la place dérisoire que la pensée des Lumières occupait dans les espaces culturels algériens »[52], plusieurs passages des Damnés de la terre, présenté comme son texte le plus violent, ne sont pas sans faire écho aux questions soulevées par les écrivains du XVIIIe siècle que Fanon a lus dès le lycée. Lorsqu’il évoque l’opulence de la société coloniale, on ne peut s’empêcher de se rappeler Candide de Voltaire : « Cette opulence européenne est littéralement scandaleuse car elle a été bâtie sur le dos des esclaves, elle s’est nourrie du sang des esclaves, […]. Le bien-être et le progrès de l’Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres des nègres, des Indiens et des Jaunes »[53].  On se souvient du chapitre XIX de Candide où ce dernier et Cacambo font la rencontre du nègre de Surinam, esclave de Monsieur Vanderdendur, mutilé et étendu à terre. À Candide qui lui demande si c’est son maître qui l’a traité ainsi, l’esclave répond : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe »[54]. Voltaire explique que la richesse de l’Europe se construit par l’exploitation et la mutilation des esclaves, mais à la différence de Fanon, il ne songe pas à commettre un acte révolutionnaire en libérant l’esclave. Il faut cependant garder à l’esprit que « la violence de la critique anticoloniale fanonienne est emblématique en ce qu’elle ne repose sur aucune tradition de pensée autre qu’européenne »[55].

Il existe un autre aspect complexe de la pensée de Fanon, la question du nationalisme qui n’est pas étrangère à un écrivain majeur des Lumières, Rousseau. La notion d’unité de la communauté est très présente chez Rousseau, notamment dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne, où les vertus patriotiques construisent une citoyenneté exigeante voire exclusive. Le nationalisme de Rousseau est un nationalisme défensif. Il condamne les guerres de conquête et les colonies et écrit, dans les Considérations, que « les peuples riches ont toujours été battus et conquis par les peuples pauvres »[56]. Quand il évoque la situation de la Pologne, Rousseau, sans appeler les Polonais à prendre les armes contre leurs voisins, potentiels envahisseurs, a l’intuition des guérillas modernes : « Vous ne ferez jamais en sorte qu’il soit difficile à vos voisins d’entrer chez vous ; mais vous pouvez faire en sorte qu’il leur soit difficile d’en sortir impunément, et c’est à quoi vous devez mettre tous vos soins. […] Un pays aussi vaste que le vôtre offre toujours à ses habitants des refuges et de grandes ressources pour échapper à ses agresseurs »[57]. La technique de guérilla évoquée par Rousseau est développée par Fanon avec des accents rousseauistes : « Chaque combattant emporte la patrie en guerre entre ses orteils nus »[58]. La construction de la conscience nationale chez Rousseau débute par l’amour de la patrie : « Tout vrai républicain suça avec le lait de sa mère l’amour de la patrie, c’est-à-dire des lois et de la liberté. Cet amour fait toute son existence ; il ne voit que la patrie, il ne vit que pour elle ; sitôt qu’il est seul, il est nul : sitôt qu’il n’a plus de patrie, il n’est plus »[59]. Si Fanon aborde en fait assez peu l’éducation des jeunes colonisés, ses analyses sur une jeunesse au service de la défense de la nation empruntent beaucoup à Rousseau : « Il faut élever la conscience des jeunes, l’éclairer. C’est cette jeunesse que nous retrouvons dans l’armée nationale. […] L’armée n’est jamais une école de guerre mais une école de civisme, une école publique. Le soldat d’une nation adulte n’est pas un mercenaire mais un citoyen qui par le moyen des armes défend la nation. C’est pourquoi il est fondamental que le soldat sache qu’il est au service du pays »[60].  Il faut construire une culture nationale, forger l’âme du citoyen. Fanon tente de penser, à l’intérieur du combat indépendantiste, une notion de volonté générale qui prendrait forme à travers la « politisation des masses. » Cela suppose de s’occuper d’elles, car « politiser c’est ouvrir l’esprit, c’est éveiller l’esprit, mettre au monde l’esprit. C’est, comme le disait Césaire, inventer des âmes »[61]. Fanon met en garde contre le danger d’une dictature politique et la constitution d’un parti unique capable de confisquer le pouvoir au peuple qui aurait vaincu le pouvoir colonialiste. Le leader va se mettre au service de la bourgeoisie nationale, et parce qu’il refuse de « briser la bourgeoisie nationale, [il] demande au peuple de refluer vers le passé et de s’enivrer de l’épopée qui a conduit à l’indépendance »[62]. Fanon a été profondément visionnaire sur l’avenir des nations décolonisées dont les leaders ont ressassé l’histoire des indépendances. Son analyse du nationalisme est subtile et il ne confond pas le nationalisme et la conscience nationale, qui est la forme la plus élaborée de la culture[63].

            Le colonisé mutilé éprouve le besoin de retrouver son passé, de renouer avec sa culture, Fanon insiste sur l’importance de réhabilitation de la période précoloniale pour le psychisme du colonisé. Il s’agit de reprendre en main son histoire en cessant de singer l’Europe, de courir derrière elle, sans pour autant nier son apport et sa philosophie : « L’intellectuel colonisé va tenter de faire sienne la culture européenne. Il ne se contentera pas de connaître Rabelais ou Diderot, Shakespeare ou Edgar Poe, il bandera son cerveau jusqu’à la plus extrême complicité avec ces hommes. […] Il s’agit pour le tiers monde de recommencer une histoire de l’homme qui tienne compte à la fois des thèses quelquefois prodigieuses soutenues par l’Europe mais aussi des crimes de l’Europe dont le plus odieux aura été au sein de l’homme, l’écartèlement pathologique de ses fonctions »[64]. Fanon admet que « tous les éléments d’une solution aux grands problèmes de l’humanité ont, à des moments différents, existé dans la pensée de l’Europe »[65], mais affirme qu’il faut s’extraire du racialisme et du manichéisme imposés par le monde colonial car « le racisme, la haine, le ressentiment, le désir légitime de vengeance ne peuvent alimenter une guerre de libération »[66]. L’exploitation peut, en outre, présenter une apparence noire ou arabe[67]. Il n’y a pas les mauvais blancs d’un côté et les bons colonisés de l’autre. L’influence de Marx sur Fanon est indéniable[68]. La lutte pour l’indépendance doit constituer une révolution sociale. La violence reste une étape nécessaire de la décolonisation. Sartre, dans sa préface, justifie la violence alors que Fanon l’analyse[69]. Parallèlement, ce dernier va s’adonner à une critique de plus en plus affirmée des droits de l’homme pour lui substituer les droits des peuples. On aurait donc tort d’enfermer Fanon dans une culture identitaire qui aliénerait l’être humain. L’universalisme chez Fanon prend la figure de la lutte, de la praxis révolutionnaire, seul moyen de libérer l’être de lui-même, de le désaliéner : « La libération psychique et la libération des peuples procèdent du même mouvement de désassujettissement »[70]

La mort prématurée de Fanon nous a privés de ses analyses sur le refoulé colonial. Lui qui avait lutté contre le manichéisme, le racialisme et le séparatisme imposés par les colons, qui avait observé le communautarisme aux colonies, un communautarisme blanc, aurait sans doute été capable de saisir les dérives identitaires que l’on observe aujourd’hui dans l’État français. Le contexte historique s’est transformé, l’Algérie est devenue indépendante, la question de l’universalisme et des Lumières ne se pose plus de la même façon, et l’on ne peut la comprendre avec les mêmes outils. À cet égard, Fanon a proposé un type d’universalisme original dont on aurait grand besoin aujourd’hui. Dans Les Damnés de la terre, il ne s’adresse pas à l’Europe et au monde occidental mais aux colonisés et aux opprimés dans leur ensemble. On peut constater avec lui que les écrivains des Lumières, s’ils ont parfois condamné violemment le colonialisme, notamment Rousseau et Diderot, n’ont jamais réclamé l’indépendance des colonies, même si Diderot a plus ou moins prédit la révolte des esclaves dans l’Histoire des deux Indes et pris des positions anticolonialistes dans le Supplément au voyage de Bougainville. La dénonciation virulente du colonialisme, les attaques contre la société occidentale dans le texte de Diderot pourraient laisser entrevoir un appel à un soulèvement populaire contre la domination coloniale. D’autant plus que Diderot place le procès de l’entreprise coloniale et des mœurs européennes dans la bouche de deux Tahitiens, le vieillard de l’île puis Orou. La forme exotique que prend ici la condamnation de l’Occident à travers les deux locuteurs, particulièrement le vieillard, confère aussi sa radicalité au texte du philosophe. Mais la fin du passage peut apparaître comme un reniement de l’œuvre toute entière : « Nous parlerons contre les lois insensées jusqu’à ce qu’on les réforme ; et, en attendant, nous nous y soumettrons »[71]. Cependant, la nécessité de la révolte contre des systèmes politiques absurdes, voire celle de la violence révolutionnaire sont sous-jacentes dans les « Adieux du vieillard ». Si le Supplément au voyage de Bougainville a été la cible des contre-révolutionnaires du Directoire, ce n’est pas sans raison. Mais si le philosophe continue de dénoncer le système dans lequel il vit, il s’y soumet sans s’aveugler. Car, comme l’écrit Étienne Tassin, la protestation morale est toujours individuelle et « ne peut tenir lieu de politique »[72]. L’impérialisme du XVIIIe siècle reste en effet connecté aux valeurs universalistes occidentales. Peut-on déconnecter l’impérialisme du mouvement des Lumières, qui constituent moins une discipline qu’un vaste champ de recherches, en prenant comme outils les études postcoloniales ou décoloniales ? Non pas tant pour établir un procès des Lumières, qui devrait au préalable définir ce qu’elles sont ou la manière dont elles se sont construites[73], mais pour tenter d’en offrir une vision complexe, contradictoire, et non monolithique, analyse à laquelle nous invite Fanon, qui voulait rompre avec le manichéisme imposé par le système colonial. Les polémiques qui surgissent à leur égard prennent un sens particulier depuis les décolonisations. Car les études postcoloniales qui font, parfois depuis l’Occident, le procès des Lumières, leur reprochent de ne pas avoir tenu leurs promesses, d’avoir failli à leurs idéaux universalistes. Tout en les rejetant, elles ne peuvent vraiment s’en détacher et les refuser en bloc, même quand elles prétendent le faire. Dans certains cas, il faut que les Lumières, assimilées à la modernité, rendent raison des crimes commis en leur nom. L’ouvrage d’Houria Bouteldja qui cultive la haine et le ressentiment, le rejet du pays dans lequel elle vit, construit une rupture violente, tant avec l’universalisme des Lumières qu’avec celui de Frantz Fanon. En commençant son ouvrage par la question juive et l’accusation de sionisme contre Sartre, en l’accusant de ne pas être traître à sa race, Bouteldja rejoint la vulgate antisémite qui se camoufle hypocritement derrière l’antisionisme et la critique de la politique d’Israël tout à fait nécessaire. Bouteldja se définit comme une victime : « Avant tout, je suis une victime »[74]. Elle appelle à la mort de toute pensée venue de l’Occident, celle du cartésianisme, en particulier : « Je pense donc je suis celui qui décide, je pense, je suis celui qui soumet, qui pille, qui vole, qui viole, qui génocide »[75]. Sur bien des sujets, Bouteldja tourne le dos à Fanon pour qui la philosophie occidentale a joué un rôle considérable, y compris dans ses prises de position anticolonialistes. Il attendait plus de l’Europe : « L’action des hommes européens n’a pas réalisé la mission qui lui revenait »[76]. Il appartient aux colonisés de reprendre ce combat. Lors du Deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs, qui s’est tenu à Rome en 1959, Jacques Rabemananjara refusait de se livrer à une bataille contre l’Occident en tant qu’Occident : « Il faut jouer l’Occident contre-lui-même, en appeler à ses recettes et […] principes pour déjouer le colonialisme »[77]. Pour Fanon[78] comme pour Kateb Yacine, la langue française est un butin de guerre. Cette perspective n’intéresse nullement Bouteldja. Mais le domaine où elle se sépare totalement de l’humanisme de Fanon se situe sur le plan de la liberté individuelle. Si Fanon ne se veut l’homme d’aucun passé et que son travail de psychiatre vise à libérer l’homme de lui-même et tend à une décolonisation de l’être[79], Bouteldja appartient à sa race : « J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam. […] Non mon corps ne m’appartient pas. Ma mère continue d’exercer sa souveraineté sur lui »[80]. Fanon, pour sa part, est totalement athée et son athéisme consolide « son humanisme révolutionnaire tributaire d’une philosophie du sujet »[81]. Le colonisé doit redevenir sujet de son histoire et s’inscrire dans une réhabilitation d’une nation redevenue souveraine, mais il reste déterminé par son statut de colonisé ou par la couleur de sa peau, et sa libération l’oblige à un passage par le retour aux sources de son peuple, deuxième étape de son émancipation à l’égard du colon, avant la lutte[82]. Fanon est bien conscient qu’il ne peut échapper complètement à son identité. Comme l’écrit Cynthia Fleury, « Fanon aspire à l’universel, à être simplement un homme, mais il voudrait aussi se jeter à corps perdu dans sa négritude »[83]. Cependant, jamais il ne se résout à être du côté des victimes et des perdants, à l’inverse des affirmations de Bouteldja « : Nous sommes des perdants »[84]. Elle cultive le ressentiment, auquel Fanon refusait de se soumettre, et réfute toute réflexion sur un universalisme qui aurait existé en dehors ou aux frontières de l’Europe, comme l’existence des Lumières arabes, particulièrement de l’Émirat de Grenade : « La preuve de nous-mêmes, nous allons la chercher dans le passé. Auprès de la mythique civilisation arabo-andalouse, seule capable de rivaliser avec la grandeur supposée de la civilisation occidentale, alors que nous ne sommes que des enfants de fellahs venus des douars des Aurès ou du Rif »[85]. Or, il se trouve que cet émirat de Grenade a été fondé par des berbères, peuple auquel appartient Bouteldja elle-même. Elle revendique son histoire quand cette dernière la ramène à une défaite, celle de la trahison de l’Algérie indépendante : « l’Algérie nous a trahis. Elle ne nous offert aucune perspective malgré le rêve de nos parents d’y retourner »[86].

Antoine Lilti a raison de souligner que « la critique postcoloniale […] se veut une réponse non seulement à la domination européenne, mais aussi aux échecs ou aux insatisfactions qui ont suivi les indépendances »[87]. Bouteldja ne s’inscrit pas dans une lutte politique pour une démocratisation de l’Algérie, à laquelle elle dit pourtant sans cesse appartenir. Elle veut inscrire son combat dans la construction d’un corps politique indigène en lutte contre la civilisation française, contre la Raison blanche[88]. Il n’y a dans son ouvrage aucune allusion aux révolutions arabes, aux peuples en lutte qui ont chassé leurs dictateurs. Parce que ces révolutions ont porté un espoir, un désir d’émancipation, de libération et que Bouteldja prône l’enfermement dans la tribu, ne revendique aucune liberté politique, préconise l’humilité à travers la soumission à Dieu : « En islam, la transcendance divine ordonne l’humilité […].  Une seule entité est autorisée à dominer : Dieu »[89]. Elle justifie le viol d’une femme noire par un homme noir parce qu’il appartient à la « race » des opprimés. En s’en remettant à Dieu, Bouteldja tente, par une gymnastique intellectuelle désarticulée, de transformer la foi en universalisme humaniste. Elle déclare ainsi que l’Occident est une catégorie historique et non une essence[90] alors que tout son livre ne cesse d’opposer les races entre elles, d’en faire des catégories immuables par détestation d’elle-même : « Ce que je suis ? Je le sais... Une femme moderne et intégrée qui ne sait pas faire la kesra [galette de semoule de blé] et à qui on a appris la fierté de trahir sa mère »[91]. Alors que Fanon a mis toute son énergie à ne jamais sombrer dans la haine et à promouvoir une lutte pour un nouvel humanisme en traquant les aliénations sociales et psychiques du colonialisme, en libérant les identités captives de leurs cultures, en leur redonnant le sens de leur individualité et de leur dignité, en déconstruisant les complexes identitaires, Bouteldja ne cesse de les marteler comme des repères existentiels, de renvoyer les descendants de colonisés à leur condition de victimes et au regard porté souvent en France sur les descendants d’immigrés. Or, « on ne se définit pas à partir de la négativité projetée par d’autres sur soi »[92]. Indifférente aux mouvements révolutionnaires, aux aspirations émancipatrices, Bouteldja tourne le dos à certaines valeurs des Lumières européennes, mais également à la grandeur de l’empire ottoman, qui a servi de refuge aux Juifs traqués dans plusieurs pays européens, ou à celle que l’on a surnommée parfois la Belle andalouse, le royaume de Grenade, où juifs, musulmans et chrétiens vivaient en paix. Les Lumières ne se réduisent pas à l’Europe et les valeurs qu’elles défendent ne datent pas toutes du XVIIIe siècle. Par ailleurs, l’esclavage a été aussi pratiqué sur les populations noires par les musulmans.  

 

            Les critiques post-coloniales des Lumières ont le mérite de connecter la question du fondement des droits et celle de leur application, les deux problématiques ne pouvant être séparées qu’au prix d’un aveuglement lourd de conséquences. Celui-ci provient sans doute autant, voire plus, de la construction d’une postérité des Lumières républicaines, assumant pleinement l’expansion de l’empire colonial et la destruction de l’Algérie, que des Lumières du XVIIIe siècle. Plusieurs philosophes étaient conscients des méfaits de la colonisation. Il suffit de relire le Supplément au voyage de Bougainville ou certains passages de l’Histoire des deux Indes pour s’en persuader. Il ne faut pas négliger « le rôle historique joué par le Supplément dans la critique militante du colonialisme »[93]. Diderot montre la nécessité de l’action révolutionnaire, tout en rejetant l’acte révolutionnaire en tant que tel. On sait qu’il a eu des liens avec les administrateurs coloniaux[94], notamment Jean-Baptiste Dubuc[95], grand propriétaire à la Martinique était le porte-parole officiel des planteurs de l’île. Les notions de raison et de progrès sont remises en cause chez Rousseau et Voltaire. Comme l’écrivait Raymond Naves, à propos de ce dernier, « la civilisation est velléitaire, la barbarie fondamentale »[96]. Les Lumières n’ont pas été aveugles ou silencieuses, mais elles n’ont pas appelé à l’indépendance des colonies et à la fin immédiate de l’esclavage. Buffon considérait la race blanche comme supérieure aux autres sans remettre en cause l’unité de l’espèce humaine. Devenues un objet historique, les Lumières sont soumises à « des reformulations successives qui en réactivent les enjeux[97] ». Elles ont été récupérées par la République puis assimilées la notion floue de « modernité ». Pour sa part, Frantz Fanon est un fils des Lumières qui n’a pas rejeté cet héritage, mais qui, au contact des indépendantistes algériens, a voulu traduire l’aspiration à l’égalité sur le plan de la praxis révolutionnaire. Il a donc été amené à transformer la conception abstraite des droits de l’homme en lutte concrète du droit des peuples, non seulement pour les colonisés mais pour les Européens eux-mêmes : « Si nous voulons répondre à l’attente des Européens, il ne faut pas leur renvoyer une image, même idéale de leur société et de leur pensée pour lesquelles ils éprouvent épisodiquement une immense nausée. Pour l’Europe, pour nous-mêmes et pour l’humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mette sur pied un homme neuf »[98]. Cet appel de Fanon est plus que jamais d’actualité : « Être un é/État de droit, c’est assumer un autre rapport à la vérité historique, affronter les trous noirs de l’Histoire, ne plus se contenter d’une Histoire officielle. C’est choisir le dur enseignement de l’Histoire scientifique, basée sur les faits. […] Chez Fanon, il est question de la lutte du futur qu’il faut ouvrir coûte que coûte. Cette lutte a pour but de produire la vie, de renverser les hiérarchies instituées par ceux qui se sont accoutumés à vaincre sans raison »[99]. » Le postcolonialisme et les études décoloniales ont le mérite de nous obliger à regarder la réalité et les faits en face, notamment en relisant les textes des Lumières qui n’ont pas été sans influencer la pensée de Fanon. Il est vrai, comme l’écrit Léonora Miano, que « Frantz Fanon était de nationalité française, porteur d’un idéal révolutionnaire, d’une aspiration à la liberté qui font partie de l’esprit français »[100].

 

 

 

                                               Pascale Pellerin, CNRS, IHRIM  

 

 

 

  

 

 

 

 

 

[1] Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières, Ambivalences de la modernité, Paris, Ehess/Gallimard/Seuil, 2019, p. 39.

[2] Daniel Carey et Lynn Festa (dir.), The Postcolonial Enlightenment, Eighteenth century Colonialism and Postcolonial Theory, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 7.

[3] Voir Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 ; Damien Tricoire, (dir.), Enlightened Colonialism, Civilization Narrative and Imperial politics in the Age of Reason, Basingstocke, Palgrave Macmillan, 2017 ; Bill Ashcroft, Gareth Griffiths, Helen Tiffin, Postcolonial studies, The key concepts, London and New York, Taylor & Francis Group, Seconde édition, 2007.

[4] Matthieu Renault, Frantz Fanon, de l’anticolonialisme à la critique postcoloniale, Paris, Éditions Amsterdam, 2011, p. 22.

[5] Pascal Blanchard et Nicolas Bancel (dir.), Culture post-coloniale, 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France, Paris, Autrement, 2005, p. 11.

[6] Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris, Flammarion, 1988, p. 269-270.

[7] Dipesh Chakrabarty, op. cit., p. 39-41.

[8] Frantz Fanon, Œuvres complètes, Paris, La Découverte, 2011, p. 61.

[9] Voir Buffon, De l’homme, présentation de Michèle Duchet, Paris, librairie Maspero, 1971, p. 256.

[10] On peut cependant se réjouir de l’intérêt que porte le président de l’État français, Emmanuel Macron, à la mémoire de la guerre d’Algérie. À sa demande, Benjamin Stora a rendu au gouvernement français, en janvier 2021, un rapport édifiant sur Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie.

[11] Yves Citton, Le Monde, 11 juin 2021, p. 30. Pour donner raison à Yves Citton, il suffit de répertorier le nombre impressionnant d’articles de presse parus après les déclarations de Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, sur un supposé « islamo-gauchisme » dans les universités françaises, terme repris par une minorité du monde intellectuel : voir entre autres Le Monde, dimanche 1er-lundi 2 novembre, Le manifeste des 100 : « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni ».

[12] Antoine Lilti, op. cit, p. 18.

[13] Voir André Monnier, « Diderot et la leçon de Saint-Pétersbourg », Revue des Études Slaves, 56-4, 1984, p. 573-589 ; Sergueï Karp, « Diderot et le catéchisme moral destiné à Catherine II : nouvelles questions », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, n°53, 2018, p. 37-53 ; Esther Kovacs, « Le philosophe et le souverain : la leçon des lettres de Saint-Pétersbourg », Épistolaire, revue de l’AIRE, n° 41, 2015, p. 153-164.

[14] Jean-Marie Goulemot, « Propositions pour une réflexion sur l’épistémologie des recherches dix-huitiémistes », revue Dix-huitième siècle, n°5, Garnier-Frères, 1973, p. 67-80 ; Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990.

[15] Joby Fanon, Frantz Fanon, De la Martinique à l’Algérie et à l’Afrique, Paris, L’Harmattan, p. 50.

[16] David Macey, Frantz Fanon, Une vie, Paris, La découverte, 2011, p. 178.

[17] Alice Cherki, Frantz Fanon, Portrait, 2011, p. 50.

[18] Ibid., p. 53.

[19] David Macey, op. cit., p. 181.

[20] Frantz Fanon, Œuvres, Peau noire, masques blancs, op. cit., p. 57.

[21] Frantz Fanon, Œuvres, Préface, p. 12.

[22] Frantz Fanon, Œuvres, Peau noire, masques blancs, op. cit., p. 64-65.

[23] Ibid., p. 75.

[24] Ibid., p. 79.

[25] Ibid., p. 84-85.

[26] Ibid., p. 225 ; 247-249.

[27] Ibid., p. 250.

[28] David Macey, op. cit., p. 234. Sur le lien entre médecine et racisme, voir également Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial, XIXe-XXe siècles, Paris, La Découverte, 2021.

[29] Matthieu Renault, op. cit., p. 79.

[30] Ibid., p. 88.

[31] Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment, Paris, Gallimard, 2020, p. 228.

[32] David Macey, op. cit., p. 301.

[33] Ibid., p. 308.

[34] Alice Cherki, op. cit., p. 69.

[35] David Macey, op. cit., p. 334.

[36] Alice Cherki, op. cit., p. 223.

[37] David Macey, op. cit., p. 407.

[38] Frantz Fanon, Œuvres, L’An V de la révolution algérienne, éd. cit., p. 269.

[39] Ibid., p. 379.

[40] Claude Bourdet (1909-1996), résistant, déporté, co-fondateur du parti socialiste unifié (PSU) en 1960 et de l’hebdomadaire L’Observateur, qui deviendra France-Observateur en 1954. Il sera l’un des principaux opposants aux guerres coloniales. 

[41] Jean-Marie Domenach (1922-1997), résistant et catholique, secrétaire de la revue Esprit et membre de la rédaction du journal clandestin Vérité-Liberté, qui publie en 1960 Le Manifeste des 121, regroupant des personnalités opposées à la guerre d’Algérie.

[42] Pierre Cot (1895-1977), homme politique français compagnon de route du parti communiste.

[43] Frantz Fanon, op. cit., p. 381.

[44] Ibid., p. 383.

[45] Ibid., p. 383.

[46] Alice Cherki, op. cit., p. 187.

[47] Matthieu Renault, op. cit., p. 106

[48] Matthieu Renault, op. cit., p. 123.

[49] Frantz Fanon, Œuvres, Les Damnés de la terre, éd. cit., p. 470.

[50] Ibid., p. 480.

[51] David Macey, op. cit., p. 320.

[52] Frantz Fanon, Œuvres, Postface aux Damnés de la terre, éd. cit., p. 678.

[53] Frantz Fanon, Œuvres, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 498.

[54] Voltaire, Candide, dans Romans et Contes de Voltaire, Paris, G-F Flammarion, 1998, p. 222.

[55] Matthieu Renault, op. cit., p. 29.

[56] Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, Œuvres complètes, III, Paris, Gallimard, 1964, p. 1004.

[57] Ibid., p. 1018.

[58] Fanon, op. cit., p. 529.

[59] Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, op. cit., p. 967.

[60] Fanon, Œuvres, Les Damnés de la terre, op. cit. p. 583.

[61] Ibid., p. 580.

[62] Ibid., p. 558.

[63] Ibid., p. 621.

[64] Ibid., p. 599 ; 676.

[65] Ibid., p. 675.

[66] Ibid., p. 532.

[67] Ibid., p. 537.

[68] Sur les relations entre les marxistes et Fanon, voir David Macey (op. cit., p. 507-508) et Mathieu Renault (op. cit., p. 164).

[69] Alice Cherki, op. cit., p. 320.

[70] Alice Cherki, op. cit., p. 306.

[71] Diderot, Œuvres, Paris, Bouquins/Laffont, tome II, Contes, 1994, p. 577.

[72] Étienne Tassin, Introduction au Supplément au voyage de Bougainville, Presses Pocket, collection Agora, p. 28.

[73] Voir Franck Salaün et Jean-Pierre Schandeler (dir.), Enquête sur la construction des Lumières, Ferney-Voltaire, Centre international du XVIIIe siècle, 2018.

[74] Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous, Vers une politique de l’amour révolutionnaire, Paris, La fabrique éditions, p. 25.

[75] Ibid., p. 30.

[76] Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 675.

[77] Matthieu Renault, op. cit., p. 203.

[78] Frantz Fanon, voir L’An V de la révolution algérienne, op. cit., p. 324.

[79] Cherki, op. cit., p. 302.

[80] Bouteldja, p. 72 ; 73.

[81] Matthieu Renault, op. cit., p. 91.

[82] Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 601

[83] Cynthia Fleury, op. cit., p. 215.

[84] Bouteldja, op. cit., p. 101.

[85] Ibid., p. 102.

[86] Ibid., p. 109.

[87] Lilti, op. cit., p. 38.

[88] Bouteldja, op. cit., p. 131.

[89] Ibid., p. 131 et 132.

[90] Ibid., p. 134.

[91] Ibid., p. 139.

[92] Léonora Miano, Afropea, Utopie post-occidentale et post-raciste, Paris, Grasset, 2021, p. 128.

[93] Voir Anthony Strugnell « Fable et vérité : stratégies narratives et discursives dans les écrits de Diderot sur le colonialisme », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, n°30, 2001, p. 35-46.

[94] Muriel Brot, « Le rôle des administrateurs coloniaux dans l’écriture de l’Histoire des deux Indes », dans Franck Salaün et Jean-Pierre Schandeler, Enquête sur la construction des Lumières, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2018, p. 61-78.

[95] Jean-Baptiste Dubuc (1717-1795), fut élu, en 1759, président de la Chambre de Commerce et d’Agriculture de la Martinique puis désigné comme délégué permanent pour représenter les intérêts de la colonie à Paris. 

[96] Raymond Naves, Voltaire, l’homme et l’œuvre, Paris, Boivin, 1942, p. 124.

[97] Antoine Lilti, op. cit., p. 18.

[98] Fanon, Œuvres, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 676.

[99] Cynthia Fleury, op. cit., p. 201.

[100] Léonora Miano, op. cit., p. 188.

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